TCHERNOBYL, VINGT ANS DÉJÀ ! Selon Le Monde (25 et 26 avril), la catastrophe aurait coûté 500 milliards de dollars, causé la mort de 16 000 personnes et provoqué entre 30 000 et 60 000 cancers dans le monde. Notre confrère rappelle la déclaration d’un membre de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui osait dire le 28 août 1986 : « Même s’il y avait un accident de ce type tous les ans, je considérerais le nucléaire comme une source d’énergie intéressante. » Surtout pour apprendre le calcul aux enfants ! Deux jours après les rappels et célébrations diverses et variées, l’explosion de Tchernobyl passait déjà aux pertes et profits de l’humanité. Vive le trentième anniversaire de Tchernobyl ! Passons à l’actu : Sarko ou Villepino ?
Revenons sur le vingtième anniversaire : les envoyés spéciaux ont courageusement pris le chemin radioactif de la bourgade ukrainienne avec leurs compteurs Geiger. Et se sont ébaudis devant la prolifération de la diversité naturelle : les animaux insouciants se promènent dans les forêts luxuriantes. Mieux : ils semblent se porter mieux qu’avant, débarrassés de la présence humaine. C’est l’arche de Noé ! Les nucléocrates se frottent les pognes. Ils vont dans les hôpitaux serrer les quatre mains des enfants irradiés et caresser leurs têtes déformées. « Ne vous inquiétez pas, rassurent-ils les mômes sans jambes : on remplacera vos moignons par des prothèses perfectionnées ! » Le nombre de malformations congénitales explose, mais une habile dispersion des victimes dans l’ex-Union soviétique permet de contourner les statistiques. Quant aux « liquidateurs », soldats envoyés à la mine pour construire le sarcophage, ils sont tellement morts que les interviews deviennent difficiles. Bref, Tchernobyl est la preuve que le nucléaire est une bénédiction.
En France, évidemment, un Tchernobyl est impossible. Un mur de plomb invisible sur le Rhin avait, on s’en souvient, arrêté les radiations d’iode et de cobalt, assurait le « professeur » Pellerin (à ne pas confondre avec ses collègues Nimbus et Tournesol), chargé par le gouvernement de bercer les populations. Nous récoltions et dégustions nos légumes alors que les pleutres allemands et italiens avaient consigne de ne pas y toucher. Car la France est le pays cartésien de la rationalité scientifique. Pellerin, directeur du SCPRI (« protection contre les rayons ionisants ») est parti à la retraite dans la dignité alors que sa cellule de la prison de la Santé restait vide. La France respecte ses élites.
Dans les années 70, un ingénieur d’EDF avait sorti cette phase impérissable à la Pierre Dac : « Tout est prévu, même l’imprévisible. » C’est pourquoi nous détenons le record mondial de centrales nucléaires : 80 % de notre électricité est due à l’atome. Et comme la divine providence vient au secours des audacieux, la hausse du prix du fioul relance le nucléaire qui, argument très employé, n’aggrave pas l’effet de serre. Le nucléaire reprend du poil de la bête. On va passer aux réacteurs du futur, chargés de remplacer les vieilles machines genre Bugey ou Fessenheim. Et c’est le Cotentin, où les ploucs sont anesthésiés par la présence de la Hague et de Flamanville, qui aura l’honneur de se taper le premier prototype. Évidemment, quelques problèmes connexes demeurent : le démantèlement des réacteurs bourrés de plutonium (actif quelques centaines de siècles), le sort des déchets, l’accident « impossible », la visite d’un avion terroriste style Twin Towers, mais rien ne saurait faire dévier la France de ses choix nucléaires. Là, tout le monde est sur la même longueur de radio-ondes, y compris les socialistes.
Rappelons quelques faits : EDF et les trusts comme Total ont tout fait dans les années 70-80 pour enterrer les énergies alternatives. Il n’y a jamais eu de débats sur le sujet dans l’a-démocratie française au Parlement. L’électricité, non stockable, n’est pas la façon la plus rationnelle de chauffer une maison. Plus grave : nos enfants et petits-enfants vont hériter quelques merveilles de nos insouciances gaspilleuses. Nous leur laissons une planète invivable où le développement de l’énergie nucléaire dite civile (voir en Iran) multiplie les risques de champignons hiroshima-compatibles. On raconte qu’Einstein, papa de la radioactivité, comprenant le problème, aurait confié : « Si j’avais su, j’aurais fait plombier. » Vrai ou faux ? Qu’importe. Les générations à venir auront le droit (et le devoir) de venir cracher sur nos tombes ! Mais revenons aux choses sérieuses : Sarko ou Ségo ?
Article publié dans CQFD n° 34, mai 2006.