CINQ FLINGUÉS du chagrin, dont quatre en l’espace de quinze jours, en pleine campagne électorale. Rappelez-vous : « la France qui se lève tôt », « la réhabilitation de la valeur travail »… Appremment le phénomène est en passe de devenir routinier : pas même un débrayage d’une heure pour marquer le coup. Humanité zéro au pays du « travailler plus pour grogner plus » ? En mai, un délégué FO a même volé au secours de ses supérieurs : « Ces trois personnes ne se sont pas suicidées dans l’entreprise, on n’a aucun document, aucune preuve qui mette en cause la direction. » Il est vrai que les auto-sacrifiés de mai, contrairement à ceux d’avril et de juillet, ont eu la décence de faire ça à la maison.
Mais ils bossaient dans le même atelier, celui du ferrage, où sont assemblés les châssis bruts. La direction des ressources humaines a d’abord refusé de s’exprimer « par respect pour la douleur des familles ». Puis elle a mis en place une cellule de veille… Après le cinquième décès, survenu le 16 juillet, la CGT monte enfin au créneau avec un communiqué à la presse locale : « La direction botte en touche […] sans jamais aborder les questions d’intensification des charges de travail, des pressions exercées sur les salariés malades donc affaiblis, et du harcèlement pour être toujours plus performants. » Son secrétaire déclare : « Il y a une ambiance pourrie dans la boîte. » Un plan de quatre cents licenciements a été « dévoilé » par FO à la sortie d’un CE l’an dernier…
Pourtant, « le bonheur est dans l’entreprise », minaudait encore récemment le Medef. Et comme dit Libération : « Le suicide est un phénomène suffisamment grave et complexe pour être abordé avec prudence. » Qui prouve en effet que ces employés-là ne ployaient pas chez eux sous le joug d’insupportables mégères ? Ou dans leur moi profond sous le poids d’un héritage génétique défavorable ? La sélection naturelle fauchant des perdants congénitaux incapables de s’adapter à la marche forcée vers la sacro-sainte croissance est une hypothèse séduisante, en ces temps d’eugénisme décomplexé. « La compétition suscitée par l’économie de marché peut faire des vainqueurs et des vaincus », tortillait du cul Renaud Dély dans un éditorial de circonstance (Libération du 18 juillet). « Peut faire » ? Non, cher Tartuffe, la compétition doit faire des vainqueurs et des vaincus. Sinon, ça s’appellerait autrement. « Nirvana », par exemple. Ou « île flottante ». Pourquoi ne pas reformuler ça ainsi, monsieur Dély : « L’association d’individus libres suscitée par l’économie de marché peut faire des vainqueurs et des vaincus » ? Puisqu’on nous dit que c’est le bonheur.
Article publié dans CQFD n° 48, septembre 2007.