DIFFICILE D’ÉCHAPPER en ce moment au marketing
mémoriel sur 68 et aux polémiques
de tartuffes à propos des J.O.de Pékin… Une
commémoration reste pourtant dans les
oubliettes : le souvenir des Jeux de Mexico
de 1968.
Tout le monde a bien en tête la photo de ces deux sprinters
noirs, John Carlos et Tommie Smith, chacun brandissant
un poing ganté de noir durant l’hymne national
américain. Du reste, on oublie généralement le troisième
médaillé du podium, l’Australien blanc Peter Norman, qui
arborait un badge avec un slogan en faveur des droits
civiques. Un beau symbole et une histoire exemplaire
assurément,mais qui masque le drame qui a précédé l’ouverture
des Jeux de Mexico.
Dix jours avant le début des Jeux Olympiques d’été,durant
la nuit du 2 octobre 1968, sur la place des Trois-Cultures de
Mexico, 200 à 500 étudiants sont massacrés par les forces
de l’ordre lors d’une manifestation. Cette triste soirée
consacre l’hypocrisie de la Pax olympica.
L’air du mai 68 français a probablement inspiré l’agitation
étudiante qui secoue Mexico depuis juillet 1968. Les
mêmes slogans libertaires s’affichent sur les murs et les
banderoles. Mais aussi le même sectarisme de groupuscules
en rivalité permanente les uns avec les autres et les
mêmes dogmatismes, selon l’écrivain Paco Ignacio Taibo II [1]. Lequel convient toutefois que l’essentiel de ces
cent vingt-trois jours de grève générale contre le gouvernement
de Díaz Ordaz réside finalement dans la pratique
auto-organisée du mouvement :
« Les délégués n’étaient pas permanents, l’assemblée pouvait
les révoquer s’ils n’étaient pas d’accord avec les positions
de la majorité. La direction du mouvement revenait
donc à une grande assemblée qui ne pouvait être détruite
ni par cooptation ni par la répression, puisqu’elle renouvelait
ses membres aussitôt. […] À la base, le mouvement
était organisé en brigades et en commissions qui étaient
dissoutes quand prenait fin leur mission. Les brigades
étaient des groupes affinitaires généralement réduits, de
sept ou huit compañeros, mais parfois énormes, de vingt
ou trente personnes, qui agissaient à leur guise, surtout dans
le domaine de la propagande. » (Paco Ignacio Taibo II, « 1968
au Mexique : Presque quarante ans, mais on n’oublie pas »,
La Jornada, 02/10/2007).
Un gant blanc à la main gauche
Pour le pouvoir mexicain, l’approche des Jeux impose la
nécessité de frapper fort. Le spectacle olympique ne peut
tolérer une telle effervescence contestataire. En coulisses,
la police organise secrètement le Bataillon Olimpia. Ces
flics provocateurs, portant un gant blanc à la main gauche
afin de se reconnaître dans la foule, tirent sur les soldats
qui encadrent le meeting du 2 octobre,donnant au régime
le prétexte d’en finir avec le mouvement étudiant. L’armée
et les forces de l’ordre réagissent avec une extrême brutalité,
pourchassant les étudiants jusque dans les
immeubles voisins. Au lendemain, les sources gouvernementales
indiquent « 4 morts, 20 blessés ». Le nombre
exact d’arrestations est tenu secret, il est impossible alors
de compter les disparus. Des cadavres sont largués dans
le golfe du Mexique du haut d’hélicoptères, selon la
méthode initiée par l’armée française en Algérie. Le
Comité international olympique et l’opinion internationale
font l’autruche. Durant trois décennies,une chape de
plomb va couvrir ce drame. Un homme était au coeur du
dispositif répressif : Luis Echeverría Álvarez, ministre de
l’Intérieur.Élu président de 1970 à 1976, il initiera la « guerre
sale », durant laquelle des centaines d’opposants et de paysans
sont torturés et disparaissent. Le brave homme,
proche de Castro et d’Allende, aurait aussi été un agent de
la CIA… Le souvenir refoulé du massacre de Tlatelolco ressurgit
après la décrépitude finale du Parti institutionnel
révolutionnaire (parti d’État affilié à l’Internationale socialiste
au même titre que le PS), en 2000, mais bien des zones
restent encore obscures. Le 30 juin 2006, un juge fédéral
ordonne l’arrestation d’Echeverría pour les massacres de
1968 et 1971, mais le 20 mars 2007, il est finalement relaxé
et les faits sont prescrits. Cet assassin de 88 ans court toujours.
Article publié dans CQFD n° 55, avril 2008.