LE 8 JUILLET 2008, 30m3 d’effluents uranifères, stockés
par la société Socatri (filiale d’Areva) près de la centrale
du Tricastin, se sont « déversés par accident dans le sol
et dans les deux rivières avoisinant le site nucléaire ». Le
18 juillet, Anne Lauvergeon, PDG d’Areva, y fait un petit
tour, promettant indemnités (20 millions d’euros) et
« transparence maximum ». D’un geste symbolique fort, elle allonge
son pastis avec de l’eau d’un étang voisin (eh oui,en ajoutant de l’eau
au pastis, on le rend… opaque).
Le 4 juillet, quatre jours avant l’accident, la CRIIRAD [1] participe à une
réunion de la CIGEET [2]. Elle interroge les responsables à propos d’un
tumulus de déchets radioactifs d’origine militaire entreposés
depuis 1970 sous une couche d’argile censée en assurer l’étanchéité.
Et apprend l’existence d’un rapport rédigé en… 1998. En le consultant,
elle constate que la pollution de la nappe phréatique est avérée
depuis 79 et que, pendant vingt ans, les prédécesseurs d’Areva ont
effectué un « pompage de fixation » pour arroser le tumulus. Le but
de l’opération, d’après la CRIIRAD, était de diluer la radioactivité et
de diriger les effluents vers le Rhône, d’où ils rejoindraient la mer.
Cette « opération Pastis » a cessé en 98. La CRIIRAD réclame une étude
indépendante de la nappe phréatique.
Après le 8 juillet,branle-bas de combat : le préfet interdit la consommation
d’eau issue des captages privés, tout comme l’irrigation agricole,
les activités nautiques, la baignade et la pêche. Marc Champion,
de l’Autorité de sûreté nucléaire, déclare dans La Provence du 9 août
2008 : « Une grande partie de la pollution a atteint le Rhône. Elle va
être diluée dans la masse du fleuve et ne devrait avoir aucun impact
mesurable. » La CRIIRAD « regrette l’opacité sur la pollution de la
nappe alluviale. Selon les derniers chiffres publiés par la Socatri et
repris par l’État, 224 kg d’uranium auraient été rejetés : 1/3 dans les
cours d’eau, soit 74 kg, et 2/3, 150 kg, se sont répandus sur le sol. La
Socatri a affirmé que la contamination n’avait pas atteint la nappe
alluviale… mais sans publier aucun résultat qui permette de le
garantir ». Didier Champion (encore un Champion !), directeur de l’environnement
et de l’intervention à l’IRSN [3], a le culot de déclarer au Monde (12/08/08) que « nos experts n’assurent aujourd’hui quasiment aucune surveillance des nappes phréatiques ». Pas de quoi s’affoler :
Jean-Louis Borloo, à la suite de l’accident,
a demandé au Haut Comité
pour la transparence et l’information
sur la sécurité nucléaire (où ne
siègent que des pro-nucléaires) de
se pencher sur la situation radioécologique
de tous les sites nucléaires français. Et de vérifier
l’état des nappes phréatiques.

Les riverains de la centrale,eux,ne
font plus confiance aux mesures
effectuées par la Socatri : il faut dire
que l’eau des piscines du secteur
remplies avant l’accident
du 8 juillet, analysée par la
CRIIRAD, présente une teneur en
uranium au-dessus des normes et,
surtout, plus élevée que celle
mesurée officiellement après
le 8 juillet. Cherchez l’erreur…
Beaucoup parlent de déménager et
réclament des indemnités pour la
perte de valeur de leur maison,
tandis que les agriculteurs évoquent
un « déficit d’image ».
Dorénavant, « il y aura une tolérance
zéro, jusqu’au plus petit incident
», assure le nouveau directeur
du Tricastin. Sauf qu’il ne pousse pas la transparence jusqu’à publier
des analyses de terrain sérieuses et qu’il se borne à rendre publique
une série d’« incidents » : le 23 et le 29 juillet, puis le 5 et le 22 août.
C’est le feuilleton de l’été.
Reste une zone contaminée et une population qui pourrait courir
un risque sanitaire majeur : l’eau distribuée dans tout le Haut-
Vaucluse provient d’un forage dans la nappe alluviale de Mornas,
à 10 km en aval de la centrale. Les autorités prennent ce risque au
sérieux puisqu’elles cherchent un autre lieu de forage. Au cas où…
Jean-Claude Leyraud
TRICASTIN : TRÈS CHAUD DEVANT !
UN ÉTÉ D’INCIDENTS et d’exercices
de transparence opaque sur
les niveaux de gravité, et puis
dans la foulée, un silence
assourdissant, au moment où
Areva tente de dealer de la centrale à
l’Inde après s’être fait planter en Chine.
Pourtant, le 8 septembre, à l’occasion
d’une opération de maintenance sur le
réacteur n°2, deux assemblages sont
restés accrochés sur le couvercle. Ainsi
dressés au-dessus du coeur, ces tubes de
zirconium longs de six mètres et remplis
de pastilles de combustible balancent un
rayonnement intense, heureusement
atténué par l’eau déversée en urgence
dans la cuve. Que faire ? La société
Westhinghouse bosse à la construction
d’un robot. Comment replacer ces deux
assemblages sans risquer de les casser (ce
qui provoquerait une chute des pastilles
de combustible radioactif,entraînant probablement
une réaction en chaîne qui
aboutirait à une fusion partielle du coeur
comme à Three Miles Island en 1979) ?
Sous l’effet de la chaleur dégagée, un
processus de dissociation de l’eau risque
de s’enclencher : l’accumulation d’oxygène
et d’hydrogène provoquerait alors
une explosion similaire à celle de
Tchernobyl. L’évacuation de plusieurs
communes serait déjà envisagée par les
autorités. « On a appelé EDF à plusieurs
reprises pour avoir des informations sur la
date de l’intervention et le détail des opérations
», rapporte Roland Desbordes, de
la Criirad. Avec pour toute réponse : « No
comment ! Secret commercial et industriel.
» L’incident est classé niveau 1.
Traduction : pour l’instant, tout va bien.
Gilles Lucas
Articles publiés dans CQFD n°60, octobre 2008.