LORSQUE JEAN-MARC ROUILLAN d’Action Directe a vu son
régime de semi-liberté suspendu pour avoir prononcé
dans L’Express une phrase aussi banale que « en tant que
communiste, je reste convaincu que la lutte armée à un
moment du processus révolutionnaire est nécessaire », on
a vu rappliquer sur le devant de la scène médiatique quelques journalistes
donneurs de leçons dont Gérard Carreyrou. Ce dernier,
dans sa chronique de France-Soir s’est emporté contre son confrère
Christian Barbier, le directeur de L’Express, coupable à ses yeux
d’avoir donné la parole à l’« assassin » Rouillan. Une « faute » inexcusable
d’après Carreyrou.
L’ex-directeur de la rédaction et de l’information de TF1 donnant
des leçons de déontologie à ses petits camarades ! On croit rêver…
On parle bien du Gérard Carreyrou à l’origine de la pétition de soutien
à Patrick Poivre d’Arvor lors de l’affaire de l’interview bidonnée
de Fidel Castro par PPDA, celui qui prétendait que la rédaction de
TF1 était « attachée plus que toute autre à une déontologie et à une
conception pluraliste et sans complaisance de l’information [1] ». Ce
même Carreyrou qui n’a pas moufté quand PPDA – encore lui – a
été inculpé dans l’affaire Botton pour avoir bénéficié de cadeaux
du conseiller de l’homme politique Michel Noir. Gérard Carreyrou
au salaire mirobolant (2,8 millions de francs par an à TF1) et néanmoins
logé par la mairie de Paris dans un appartement de 140 m2
dans le XVe arrondissement. Enfin, Carreyrou producteur avec l’exmilitaire
et fils de militaire Charles Villeneuve du Droit de savoir
sur TF1, l’émission « où les journalistes mettent souvent les pieds là
où on n’ose à peine mettre les mains » mais peu pressée d’explorer
les zones d’ombre de l’appareil répressif français, que ce soit l’administration
pénitentiaire, la police ou l’armée.
À l’époque où Carreyrou jouait les caïds de l’ investigation avec
Villeneuve sur TF1, leur émission n’a pas fait preuve d’une grande
curiosité sur le rôle joué par la mission militaire française en
Argentine durant les années 70. Elle aurait plutôt cherché à ne pas
savoir ce qu’y faisaient le colonel Robert Servent, aujourd’hui retraité
dans le sud de la France, ou son adjoint le lieutenant-colonel Michel
L’Hénoret, membres de la mission militaire au début de la « sale
guerre » qui se soldera par le massacre de milliers de militants de
gauche ou péronistes. Ne pas s’interroger sur les raisons pour lesquelles
l’attaché militaire auprès de l’Ambassade de France, le colonel
Jean-Claude Le Guen, a été décoré par un des pires généraux de la
junte militaire, le général Suárez Masón, comme l’a révélé la journaliste
Marie-Monique Robin dans son enquête Escadron de la mort,
l’école française. Au début des années 90, le Droit de savoir s’est illustré
en diffusant un snuff movie tourné par un vidéaste brésilien. Une
très réaliste scène de lynchage où trois voleurs sont aspergés d’essence
et brûlés vifs par une foule goguenarde. Pourquoi ne pas avoir
essayé de rééditer la chose avec les militaires argentins s’inspirant
des méthodes du tortionnaire français Aussaresses ? L’émission aurait
eu largement de quoi alimenter sa soif d’images chocs.
Dans sa chronique de France-Soir, Carreyrou explique que Jean-Marc
Rouillan aurait « lâchement assassiné » le général Audran « parce que
son nom de famille commençait par la première lettre de l’alphabet ».
Puis ce fut au tour du PDG de Renault, Georges Besse, « dont le nom
commençait par un “B” ». Enfin, il lâche à l’adresse de Jean-Marc
Rouillan : « Vous vous prépariez à un autre assassinat dont le nom de la victime aurait commencé par un “C” ».
C comme… Carreyrou ?
Article publié dans CQFD n°60, octobre 2008.