Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils ont fait Sciences-Po : ce sont les « nouveaux agitateurs sociaux »,
comme les a baptisés France Info [1]. Ces entrepreneurs
du spectacle militant chic et choc se bagarrent
contre la vie chère, les stages-esclavage ou le
manque de logements à coups de happenings
télégéniques (pour lesquels on mobilise des
bataillons de jeunes activistes). Leaders charismatiques
des Désobéissants, de Génération
Précaire, de Jeudi Noir, de Sauvons les riches ou de
L’Appel et la Pioche,ils entendent « renouveler » les
formes de lutte, car le syndicalisme à papa, c’est
dépassé. « Les syndicats ont une part de responsabilité
terrible dans la crise qui les affecte, explique
à France Info Manuel Domergue, le « communicant
» de Jeudi Noir et Génération Précaire. C’est
qu’ils sont souvent assez chiants, ils se renouvellent
pas, ils sont vieux, ils sont pas drôles et souvent en
plus ils perdent à la fin. […] Il faut mettre à leur
décharge que c’est difficile d’avoir des modes d’action
comme les nôtres quand on parle de sa boîte,
quand on parle de son licenciement. C’est plus dur
de façonner une médiatisation sur mesure, drôle et
tout ça, quand on est en train de se faire virer de sa
boîte. » Trop sympa, Manuel, ton indulgence pour
le prolo ignorant tout de la stratégie publicitaire.
Mais même si on n’existe aujourd’hui que si on
passe à la télé, tout le monde n’a pas forcément
envie de tortiller du cul pour plaire aux journalistes.
À moins de vouloir faire carrière…
Car les médias les adorent, ces enfants terribles,
anticapitalistes mais gentils. Et c’est vrai qu’elles
ont de la gueule, leurs actions. Pique-niques récupérateurs
dans les grandes surfaces, fiestas vengeresses
dans des apparts que les proprios louent
trop cher, squattage de bâtiments vacants pour y
installer des sans-logis… Voilà qui attire la sympathie.
Du coup, élus et ministres les pouponnent :
Jeudi Noir bénéficie du soutien de plusieurs élus
Verts, reçoit la visite de pontes PS ou NPA, et même
l’appui du sénateur UMP Étienne Pinte. Son porte-parole,
Julien Bayou, a participé avec d’autres à
la Commission de concertation sur la politique de
la jeunesse, une baudruche gonflée par Martin
Hirsch. Pour quel résultat ? « Comme la quasi-totalité
des membres de la commission Hirsch,
Génération Précaire considère qu’il faut développer
l’apprentissage et l’alternance. » Conscient d’avoir
brassé du vide, Bayou ironise sur son blog :
« Trente-deux ans d’échecs [depuis les stages exonérés
du Plan Barre]. Cela force le respect. » [2]
À ce train-là, en effet, on n’est pas près de sortir
de la précarité. Sauf Bayou : pour lutter contre, lui
et son pote Lionel Primault ont fondé une
« agence de conseil en mobilisation et communication
pour ONG et organisations d’intérêt
général », comme le claironne leur profil fessebouc.
Modestement nommée Primault & Bayou,
elle est enregistrée comme entreprise de « création
artistique » auprès de la fédération des Scops
de la communication.
La CGT-Cadres et Attac ont été leurs premiers
clients. Le 28 mars 2009, dans le cadre d’une manif
anti-G20, une plage de sable avec palmiers a été
installée place de la Bourse, à Paris. Une action
commanditée par Attac mais signée Primault &
Bayou, qui ont répondu aux caméras depuis leurs
transats. Quant à la CGT-Cadres, elle a, à 7 heures
du matin le 21 octobre 2008, pris d’assaut le siège
du Medef avec un énorme réveille-matin
gonflable conçu par nos deux
créatifs. Tout ça afin de soumettre à
la centrale patronale une pétition
pour le respect des RTT. Comme quoi,
s’ils sont ringards, les syndicats peuvent
encore servir à faire du pognon.
Article publié dans CQFD N°70, septembre 2009, actuellement en kiosques.