ERCREDI 5 AOÛT, 11 heures du matin. Guidés par Matt, nous
gravissons un chemin bordé de hêtres immenses. L’endroit est
un véritable petit paradis, accessible en 4x4 only. Il nous
emmène vers ce que les habitants qui peuplent le reste du village
US de Kayford (Virginie occidentale), en l’occurrence une seule famille,
celle de Larry, répartie sur une demi-douzaine de mobil-homes, appellent
les « portes de l’enfer ». Une fois arrivés là-haut, on demeure sans voix : à
perte de vue, des sommets décapités, des montagnes devenues piles de
gravats, sillonnées par des camions gigantesques qui emportent chaque
jour les vestiges de cette terre éventrée à la dynamite. Insensé. Quelques
pas de trop et l’on prend le risque de se retrouver en prison. Matt est
déjà sous le coup d’une plainte et nous ne restons pas plus de cinq minutes.
Récemment, l’État de Virginie occidentale a redonné à ses citoyens le
droit de tirer sur tous ceux qui approchent de leur terrain. Et la mine
appartient à Massey Energy, deuxième groupe
houiller au monde, qui jouerait du pot-de-vin dans
le sud de cet État situé à quelque six heures de route
de Chicago, au coeur des Appalaches. Les mines
représentaient 150 000 emplois jusque dans les années 70, 15 000 aujourd’hui.
Les mines souterraines ont fermé, les « traîtres » d’avant, volontaires
pour l’exploitation en surface,ont gagné. Dans chaque famille, un
conducteur d’engins,un expert en explosifs, un retraité recevant sa pension,
vit encore du charbon. Critiquer les compagnies minières,exiger la
fermeture des mines est un crime de lèse-majesté:le bifteck, ici comme
ailleurs, est roi. « No coal, no light » (en VF : « pas de charbon, pas de
lumière »), répondent les mineurs baraqués aux frêles treehuggers (« enculeurs
d’arbres » en français, joli, non ?) qui occupent des arbres et déroulent
des banderoles sur les sites, ou s’enchaînent aux pelleteuses
métalliques de plus de quinze mètres de haut.
À Rock Creek, 300 âmes, au fond de la Coal River Valley, les animateurs
de la campagne contre les mountain top removals vivent dans des baraques
retapées. Un endroit bucolique. Des champignons délicieux, une forêt
majestueuse à quelques pas. De l’autre côté de la rivière, les mineurs
en route pour le boulot lancent insultes et menaces. Les activistes n’ont
pas d’armes, mais les autochtones qui les soutiennent, oui. « Larry ne sort
jamais sans son fusil chargé,“ils” ont descendu l’un de ses chiens, lui ont
tiré dessus plusieurs fois et ont essayé de le faire sortir de la route », me
raconte Matt. Dans les vallées alentour, les villages de caravanes défraîchies
sont régulièrement ravagés par des inondations. « Plus d’arbres, plus
de montagnes : la pluie n’est plus retenue et dévale les flancs des collines,
me raconte Spaz, un documentariste-activiste. Les gens vivent dans la terreur,
quand il pleut, ils s’endorment chaussures aux pieds, prêts à échapper
aux flots. » Outre le charbon, les montagnes contiennent des métaux
lourds : manganèse, arsenic et mercure. Le charbon est nettoyé sur place,
les boues toxiques sont injectées dans les anciennes
mines de fond ou déversées dans des bassins de
rétention gigantesques, garantis 100% imperméables…
Partout des cancers rares, des malformations,
des troubles mentaux. Les métaux lourds se retrouvent dans
l’eau potable. Il y a un an, un projet est lancé par les activistes : apporter
de l’eau propre par containers aux habitants les plus touchés. « En quatre
mois, me raconte Matt, quatre personnes que nous connaissions sont mortes.
C’était déjà trop tard. Ça me fout tellement la rage. Si ce qu’ils font ici
arrivait chez moi, dans l’État de New York, je me promènerais de nuit
dans la forêt,le sac bourré d’explosifs et je… »Il laisse sa phrase en suspens,
et conclut : « Comme le font les gens d’ici. »
Dimanche 9 août, trois camions chargés de transporter du charbon ont
cramé à une vingtaine de miles de Rock Creek. Le shérif promet une
récompense pour toute information.
Article publié dans CQFD N°70, septembre 2009.