NE TRADITION RÉCENTE veut que
les guichetiers de LaPoste harcèlent
le client – comme ils sont
harcelés eux-mêmes par leurs
supérieurs – pour lui vendre
toujours plus de « produits ». Et pas qu’en
métropole : si l’Outre-mer est oublié dans
de nombreux domaines,quand il s’agit de
privatisation sauvage, il est à la pointe.
Ainsi les postiers de Mayotte viennent
d’inventer, à la demande de leurs chefs, une nouvelle technique
de vente : le racket des
étrangers. Bénévole à la
Coordination pour la
concorde, la convivialité
et la paix (CCCP), une
association qui aide les
« étrangers » dans leurs
démarches de régularisation,
Maouia a accumulé
entre février et mai des dizaines de
dossiers en attente d’envoi à la préfecture.
« À La Poste, raconte-t-il, on refuse de les
envoyer avec un simple recommandé avec
accusé de réception, comme je l’ai toujours
fait. On me dit que, dorénavant, pour
envoyer un dossier à la préfecture, c’est obligatoirement
par Chronopost. » Trop cher
pour la petite association –ou pour le portefeuille
des étrangers–, mais très rentable
pour La Poste : un recommandé coûte cinq
euros, un envoi par Chronopost entre seize
et dix-sept euros.
Deux avocats du barreau de Mamoudzou
confirment. « La Poste oblige [nos clients]
à envoyer leur demande de titre de séjour
en Chronopost. » Averti de cette pratique
par une cliente, l’un d’eux lui a rempli le
recommandé en précisant bien qu’elle
devait payer cinq euros maximum.
Quelques jours
plus tard, « elle est
revenue me voir
en me montrant le
document Chronopost à seize
euros. La Poste a
refusé de prendre
le recommandé
que j’avais rempli
en lui disant que la préfecture n’acceptait
que les Chronopost ! » Contacté par l’avocat,
un responsable de La Poste a prétendu qu’il
sî’agissait d’un service proposé, mais pas
imposé. Il a promis qu’il ferait remonter
l’info, « car ce n’est pas normal », aurait-il
rassuré l’avocat. C’était en avril. En mai, de
nouveaux clients floués venaient toujours
se plaindre…
Selon Maouia, cette pratique a débuté en
février. « Au guichet, on nous répond que
c’est la préfecture qui l’exige. » Faux,
rétorque-t-on du côté de la préfecture. Si le
service chargé de régulariser les « étrangers
» a bien passé pour consigne, en début
d’année, de privilégier l’envoi par
Chronopost, il ne l’a jamais imposé – il faut
dire que c’est illégal.
« Ce qu’il s’est passé, c’est que, lorsque les
directeurs d’agence ont reçu cette note de
la préfecture, ils en ont profité pour tenter
de l’imposer », explique un postier.
« Certains l’ont fait jusqu’à ce que la direction
leur rappelle que c’était illégal.
D’autres ont continué après. Pour eux, c’est
tout bénef’ : ça leur permet d’augmenter
leur chiffre de vente. » Et de bien se faire
voir par la hiérarchie,qui fixe pour chaque
agence un chiffre d’affaires à atteindre.
La directrice de l’agence de Mamoudzou
a été particulièrement zélée : alors que
la poste voisine de Kaweni vend en
moyenne une quinzaine de Chronopost
par jour, celle-là en refourguait quotidiennement
plusieurs dizaines, ces derniers
mois…
Article publié dans CQFD N°68, juin 2009.