J’AJOUTERAI QU’AU-DELÀ du “travailler plus pour gagner plus”,
le travail indépendant” permettra de “travailler plus librement,
de façon plus responsable et autonome, pour gagner
plus”. » Cette formule inspirée est extraite du rapport sur le
statut de l’auto-entrepreneur. Annoncé en novembre 2008 au
son des tambours et des trompettes par Hervé Novelli, le secrétaire
d’État au Commerce, ce nouveau statut mis en place le
1er janvier 2009 est censé révolutionner le monde entrepreneurial
et aider des centaines de milliers de chômeurs, retraités,
étudiants, travailleurs pauvres (et même fonctionnaires !) à se
sortir de la précarité.
Les premiers chiffres annoncés par l’Insee devraient réjouir le gouvernement,
puisque les créations d’entreprises ont bien explosé
au cours des neuf premiers mois (+65% par rapport à 2008).
La simplification des démarches séduit de nombreux candidats
qui foncent tête baissée, sans doute convaincus, comme précise
le rapport, que « le travail indépendant est celui qui peut
offrir à un individu à qui la vie a joué un mauvais tour ou à qui
la naissance n’a pas donné toutes les chances, la capacité du
retour à la dignité ».
Ce jour d’octobre, parmi les six chômeurs invités par Pôle emploi
à suivre un atelier « Créer votre entreprise : pourquoi pas ? »,quatre
souhaitaient très fortement adhérer à ce statut, vu qu’on leur
avait dit que c’était super, et vite fait bien fait, deux clics de souris
et le tour est joué. Quand en fin de journée l’animatrice aborde
le thème des différents statuts,on la sent un peu gênée. Mais elle
met les pieds dans le plat : « Méfiez-vous avec ce statut, réfléchissez
bien. Si à la base il a été créé entre autres pour inciter ceux qui travaillent
au noir à légaliser leurs activités, les conséquences sont
bien différentes, et c’est une catastrophe, car de plus en plus d’employeurs
en profitent et incitent leurs salariés ou les personnes qu’ils
recrutent à prendre ce statut, ce qui à la longue risque de remettre
en cause l’existence du contrat de travail… » Dans de nombreux
secteurs professionnels se multiplient les cas de salariés basculant
vers ce statut tout en continuant à travailler pour leur entreprise,
qui se déleste ainsi de toutes charges salariales.
L’animatrice précise que ce statut rétrécit de beaucoup la couverture
sociale : pas d’assurance maladie la première année, pas
d’assurance chômage, pas de droits à la formation, pas de congés
maternité, ou encore des droits à la retraite rognés.Autre conséquence
désastreuse : le peu de cotisations versé par l’auto-entrepreneur
risque de vider un peu plus les caisses sociales. Le rêve
du patronat enfin devenu réalité : l’attaque la plus sournoise
envers le contrat de travail.
Ces créations d’entreprises ont aussi le mérite d’atténuer les
chiffres catastrophiques du chômage, puisque 33 % des autoentrepreneurs
sont des demandeurs d’emploi, qui du coup sortent des statistiques.
Chez nos voisins belges, plutôt que d’inciter les chômeurs à
devenir des précaires actifs, certaines villes ont décidé, en regard
de l’état du marché du travail en temps de crise, de ne plus les
obliger à en chercher, vu qu’il n’y en a plus. Nous, on est plus
forts : on l’invente !
Article publié dans CQFD n°73, décembre 2009.