E ROCK FORT est-il toujours une prérogative
de blancs-becs ? Au début des 70’s, les
camps semblaient définis. À Detroit, le
rythm’n’blues noir avait abandonné son
rejeton le rock’n’roll aux jeunes voyous
blancs du MC5 qui se chargeaient de le tordre et le
muscler, tandis que la communauté Afro-américaine
était passée de la Motown soul en petits costards étriqués
à la funk en gouffa, pattes d’éph’ et bottines à
talons compensés. Mais pendant ce temps, dans leur
garage, trois frangins blacks de 17, 19 et 21 ans – Bobby,
Dannis et David Hackney – s’essayaient au rythme
binaire et à la distors’, laissant pour la postérité une
démo de 8 titres, constituant un chaînon manquant
entre le power-rock et le punk.

Après s’être escrimés sur les standards R&B, les frères
Hackney eurent la révélation en assistant à un concert
d’Iggy Pop & the Stooges. Ils formèrent Death : « On avait le sentiment
de faire quelque chose de totalement révolutionnaire », confie
Bobby Hackney, le chanteur et bassiste du groupe. Quand ils se produisent
dans les fêtes des Afro-américains de Detroit, leur musique
semble totalement incongrue. À l’époque, la communauté écoute
de la funk de Philadelphie, Earth, Wind & Fire ou les Isley Brothers, le disco arrive à grands pas. Comment faire une chorégraphie fresh & funky sur les cadences ultra-saccadées de Death ? Les moqueries accentuent l’agressivité sèche du groupe. Par ses riffs amphétaminés, il se débarrasse des lourdeurs du hard rock, ce qui en fait un
groupe précurseur (d’une courte tête) des Deadboys, des Ramones
ou des Badbrains (seul groupe punk afro-américain des 80’s).
Précurseur et totalement inconnu, c’est pas punk, ça ?
En 1975, les frérots Hackney enregistrent une démo avec l’ingé
son des Funkadelic, puis « montent » à New York pour la présenter
au puissant producteur Clive Davis. Lequel semble intéressé,
mais tique sur le blase : « Changez-moi ce nom de merde,
les cocos ! » Refus net, ce sera Death ou crève. Une intransigeance
punk qui marque aussi l’autosabordage du trio. Avec un nom
pareil, le destin du combo ne pouvait être que posthume.
Pendant près de trente-cinq ans, il ne subsiste de Death qu’un
45 tours autoproduit tiré à 500 exemplaires, oublié dans un
vieux carton jusqu’à ce que le label Drag City déterre ces sept
pépites qui constituent l’album For the whole world to see . À
l’écoute des titres « Freakin out », « You’re a prisoner » ou « Keep
on knocking », on a comme une impression familière. Un morceau
comme « Politicians in my eyes » pourrait se situer entre
« Paranoid » de Black Sabbath et « I’m stranded » des Saints.
Aujourd’hui, le flambeau est repris puisque les fistons de Bobby
Hackney font renaître Death de ses cendres en rejouant certains
titres avec le groupe Rough Francis (myspace.com/roughfrancis).
Death not dead !
Article publié dans CQFD n°73, décembre 2009.