Chicago, 4 décembre 1969, 4 heures du mat’. Une équipe de flics fait irruption dans un appartement. Quatre-vingt-dix coups de feu retentissent. Quatre-vingt-neuf balles policières. Mark Clark, Black Panther de dix-sept ans, surpris dans son sommeil, a le temps d’actionner une dernière fois son arme. Le sergent James David, un afro-américain réputé pour la haine qu’il voue à sa propre communauté, et le sergent Daniel Crowes contemplent un homme à terre. « C’est Fred Hampton. » « Il est mort ? Amène-le dehors. » « Il vit encore. » Bang ! Bang ! « He’s good and dead, now. » Hampton baigne dans son sang, deux trous dans la tête. Le raid policier a fait deux morts et quatre blessés. Le lendemain, les curieux se pressent pour visiter les lieux du carnage. Contre toute évidence, la version officielle parle de légitime défense « face à la sauvagerie du Black Panthers Party (BPP) ». Les preuves balistiques sont bidonnées. Le procureur Edward V. Hanrahan couvre les flics.
Ainsi meurt à vingt et un ans Fred Hampton, un des plus brillants leaders du BPP. Instigateur de programmes d’autodéfense et d’éducation des ghettos de Chicago, il est à l’origine des petits déjeuners et des soins médicaux prodigués gratuitement aux minots. Dans le documentaire The Weather Underground, une séquence montre un des speeches du chairman. On est saisi par la force du tribun, le débit proche du scat, le regard inflexible, les fossettes ironiques. La dangerosité de Hampton réside dans son charisme, mais pas seulement. Il bouscule aussi le Black Power. Il dénonce le séparatisme, les sirènes d’un capitalisme noir, les trahisons politicardes. Il prône le rapprochement avec les autres courants radicaux sans distinction de couleur : latinos, amérindiens, fromages. « Le racisme est un prétexte du capitalisme. Je suis un prolétaire, je suis du peuple, je ne suis pas un pig (flic). You got pigs in all colors. » Il ne croit pas si bien dire : c’est son garde du corps, William O’Neal (qui s’est suicidé depuis, le Judas ! ), qui le balancera aux condés. Plus de cinq mille personnes assistent aux obsèques. La foule chante « People get ready, Revolution is coming » sur l’air de la chanson de Curtis Mayfield.
Dans un contexte d’opposition à la guerre du Vietnam, de radicalisation du mouvement étudiant et d’émeutes dans les ghettos, le BPP fait figure d’ennemi public n°1. Le FBI programme l’élimination des leaders. Fin mars 68, J. Edgar Hoover envoie cette consigne à ses agents : « Empêcher la coalition de groupes nationalistes noirs.(…) Empêcher la naissance d’un messie qui pourrait unifier et électriser le mouvement. (…) Il faut faire comprendre aux jeunes Noirs modérés que s’ils succombent à l’enseignement révolutionnaire, ils seront des révolutionnaires morts. » Le programme Cointelpro sème la division, l’intrigue, la drogue, la répression. Les Black Panthers tombent peu à peu dans la nasse des services secrets. Infiltrations, enfermement, assassinats… Le parti entre en déliquescence. Et ni la bouillasse idéologique marxiste-léniniste ni la paranoïa cocaïnée du leader Huey Newton n’arrangent les choses. Des dissidents sont liquidés, comme James Carr - dont il faut lire l’autobiographie Crève ! (éditions Ivréa) -, sans doute à cause de sa critique de la mégalomanie des chefs et de son rapprochement avec des radicaux blancs. Jamais l’État américain n’a relâché la pression sur les mouvements de libération noirs et amérindiens. Mumia Abu Jamal et Léonard Peltier en savent quelque chose.
Article publié dans CQFD n° 33, avril 2006.